Première question, comment es-tu devenu prostituée ? (NDLA : notez que l'on dit généralement "finir prostituée", comme si c'était la pire chose qui puisse arriver.)
Version courte : c'était un pari de longue date.
Version longue... J'aimais bien regarder le reality-show Au ranch du lapin coquin, quand j'habitais à Tulsa, dans l'Oklahoma. Je bossais dans un bureau pour la 6ème plus grand banque du monde (N.B. je détestais ce boulot.) Ils ont fermé mon bureau et je me suis retrouvé au chômage, à chercher quoi faire. Un vendredi soir, j'avais des copines à la maison pour une soirée entre copines et on avait bu pas mal de margaritas (euphémisme.) Je sortais de la cuisine, où j'avais été chercher une carafe de notre nectar divin. Et dans la série, une des filles (je ne me souviens plus laquelle) était en train de geindre. J'ai dit que si moi, je bossais au ranch [du lapin coquin] je ne me plaindrais jamais de rien. Je suis retourné à la cuisine. Grosse erreur. Tandis que je jouais le mixeur, mes copines ont décidé de me proposer un défi, dans mon dos. Je reviens et elles me disent toutes les six : "Pourquoi tu ne postules pas ? - Mais ils ne me prendront jamais ! Regardez ces filles et regardez-ma gueule ! Même pas en rêve !" Et elles me disaient : "ALLLLLEZ ! T'es pas cap' ! Que de la gueule !" Alors j'ai dit que si j'en avais l'opportunité, je foncerais.
Quelques temps plus tard, me voilà à Los Angeles, juste après mon premier tournage et Ron Jeremy m'invite à diner au Rainbow Room. On été assis à une table avec une photo de Dennis (NDLA : Dennis Hof, patron du Moonlite Bunny Ranch, qui sert de décor à Au ranch du lapin coquin), alors j'ai parlé du défi à Ron. Il m'a proposé de parler de moi à Dennis et il m'a dit de postuler par mail en parallèle. C'était vraiment une chance à ne pas louper et trois jours plus tard, j'envoyais un mail avec des photos et j'avais un entretien.
J'apprends encore et je suis encore loin de ce que certaines des filles arrivent à faire, mais j'adore chaque jour passé là. C'est la première fois que je me lève en étant impatiente de voir ce que la journée me réserve.
Ancien pasteur, Mike Huckabee était le très conservateur postulant à l'investiture Républicaine pour l'élection présidentielle US de 2016. En décembre, il est photographié, à un meeting, avec une prostituée. La prostituée en question, c'était Sable Renae, qui eu son quart d'heure de gloire. Est-ce que ça t'a apporté davantage de clients ?
Mmh... Je vais revenir sur Mike Huckabee. Est-ce que mon client (NDLA : qui a pris la photo et l'a posté sur les réseaux sociaux, déclenchant par hasard un scandale) m'a perçu différemment ? Pas vraiment. Il est gentil et avec lui, c'est de l'amitié, à travers un intérêt mutuel. La photo ne m'a pas apporté plus de clients et en fait, je me demande même si je n'ai pas perdu des clients potentiels à cause d'elle.
Le client en question avait proposé à Sable Renae d'assister à un meeting de Mike Huckabee, la sachant fan du candidat. A sa demande, il a voulu immortaliser l'instant où elle rencontrait son idole. On a du te poser la question mille fois, mais ce n'est pas contradictoire de soutenir un homme qui souhaite interdire la prostitution ?
C'est la première fois qu'on me demande si j'ai soutenu [Mike] Huckabee. Sache que ce n'est pas moi qui aie posté la photo ou qui l'ai commenté. Tous ces articles ont été écris sans avoir ma version des faits.
Voilà la vérité : jusqu'aux dernières élections, j'ai toujours été une Républicaine. J'ai été élevée dans un milieu conservateur et mon apprentissage fut principalement conservateur. Néanmoins, il m'est arrivé de voter Démocrate et J'AI TOUJOURS basé mes décisions sur les informations dont je disposais pour influencer mon choix. Mon client savait que je suivais les élections et les débats. Il savait aussi que je vote en connaissance de cause et que je suis de près la politique ; on a ça en commun. Il m'a demandé si je souhaitais l'accompagner au meeting, en tant qu'accompagnante (N.B. et oui, il me payait pour ça.) Je n'avais jamais été à un truc comme ça et même si JE N'ETAIS PAS D'ACCORD et JE NE SUIS TOUJOURS D'ACCORD avec Huckabee sur le sujet [de la prostitution], j'ai accepté le rencard. Je suis toujours prête à ce que quelqu'un me fasse changer d'opinion. En même temps, je crois qu'un des problèmes des politiciens est qu'ils ne discutent jamais avec les gens, en particulier les prostitués, sur ce qu'on fait, pourquoi on le fait et de ce en quoi une loi pourrait impacter notre vie. Ca m'avait l'air d'être une soirée intéressante et j'ai accepté. M. Huckabee savait qui j'étais et où je travaillais, parce que je lui ai dit au préalable. Malgré tout, il était d'accord pour prendre une photo ensemble. Mon client a filé le cliché à Dennis [Hof] et Dennis l'a diffusé auprès des médias. Pourquoi, je ne sais pas. Mais ce que je SAIS c'est que ça m'a fait du mal, à moi et à mes affaires. J'ai une politique très stricte de respect du secret et de l'anonymat de mes clients. On a cru que j'avais diffusé la photo. Alors que ce n'était pas moi ; c'était mon client. Les erreurs dans [la manière dont] cet épisode [a été rapporté] m'ont l'air d'avoir été fabriquées intentionnellement. Je n'étais et JE NE SUIS PAS d'accord avec le parti Républicain sur un grand nombre de sujets et depuis, j'ai changé mon enregistrement (NDLA : aux Etats-Unis, les électeurs s'enregistrent par partis) afin de refléter cela. Je suis désormais une électrice indépendante.
En France, la prostitution est illégale (avec des nuances.) Penses-tu qu'une prostitution légale, avec des prostituées enregistrées serait une bonne chose ? Qu'est-ce que cela apporterait aux prostituées ?
Légaliser la prostitution est un sujet complexe. Légalisation ou dépénalisation ? En tant que prostituée déclarée et licenciée, j'ai beaucoup d'extras. En enlevant les dépenses du quotidien (par exemple : loyer [de la chambre de la maison close] et fournitures), je dois encore passer des examens médicaux hebdomadaires. Je paye ces examens de ma poche et ils comptent pour ma licence, car je suis obligée de les mettre à jour. Il y a aussi des retenues directes sur mon salaire, comme la licence de la maison close et l'assurance. Tout ceci explique pourquoi une prestataire licenciée est plus chère qu'une prestataire illégale. Néanmoins, JE N'AI PAS à craindre une descente de police et j'offre un niveau de garanties auquel ne peut prétendre ma collègue illégale. Je ne suis pas sûre que la dépénalisation fournirait une telle protection. De plus, la légalisation [aux Etats-Unis] permet à quelques certains de bien gagner leur vie sans faire trop d'efforts (NDLA : comme les tenancier de maisons closes.) C'est un sujet intéressant.
Toujours en France, Les féministes sont vent-debout contre la prostitution. D'après elle, c'est un moyen de domination, économique et sexuel, des hommes sur les femmes. Que leur réponds-tu ?
Morte de rire... Je suis féministe. Je le suis depuis la fac. J'ai déjà entendu l'argument de la domination économique et sexuelle des hommes sur les femmes. Si tel était le cas, ma réponse -vu ma situation- est par quel moyen ? JE fixe mes tarifs. JE peux dire NON quand je veux. JE peux refuser de lui rendre son fric. Si durant une "passe", on va au-delà de ce qui était négocié, je peux interrompre la passe et je le ferai, sans remboursement. Je contrôle tout le déroulement. JE PEUX dire NON. Dans aucun autre boulot, vous ne pouvez dire non. [Si] ton patron te demande de faire des heures sups, tu peux dire non, mais tu risques de perdre ton boulot. Si je dis NON, le pire qu'il puisse arriver ait que je N'AI PAS de passes et donc, que je ne SOIS PAS payée. Tout l'argent n'est pas bon à prendre et dans ce milieu, JE N'AI PAS à justifier un refus. Je refuse, un point c'est tout. En tant que féministe, je crois fermement que les femmes sont aussi douées que les hommes sur presque tout -sinon tout-. Après ça, je ME prend en charge et ça ME rend heureuse et épanouie. Je ne suis PAS spoliée dans mon travail actuel. Je suis épanouie et heureuse. D'une manière qui n'existait pas dans une cursus professionnel classique. Je peux pleinement jouir de mon féminisme dans mon occupation actuelle et j'adore ça.
Tu as également tourné des scènes de X. Pour le grand public, il n'y a pas de différence entre une prostituées et une actrice de X. Peux-tu nous éclairer ?
Ce qui est différent entre prostituées et actrices de X, c'est à la fois une question simple et compliquée. Même si les examens [médicaux] et les activités [sexuelles] des deux camps sont proche ; il y a des différences certaines. Sur un tournage, tu as plein d'arrêts et de reprises et tu n'es pas seule avec ton(a) partenaire, car tu as aussi PLEIN de gens sur le tournage, qui gèrent la scène. En plus, tout doit être "vu" à l'écran et les positions n'ont rien de naturel. Elles ont l'air naturel, mais CROIS-MOI, ce n'est pas vrai. La plupart des prostituées font des passes avec un client. Elles n'ont pas de projecteurs, de caméras, d'équipe technique et elles ne FONT PAS les positions qu'on voit dans les films. Sache que si tu assistais à un tournage, tu verrais les films d'un autre œil ensuite.
Quel est ton meilleur souvenir sur un plateau ?
J'ai deux souvenirs particulièrement bons sur un tournage.
Le premier, c'était avec Jay Crew... Je sors de la loge et on m'a présenté Jay et j'étais comme un gamin dans une confiserie. J'applaudissais et je rigolais. Et j'ai dit : "Super, un renard argenté... J'ADORE les renards argentés." On a eu quelques minutes pour parler, avant la scène et il y avait une vraie alchinie. Quand le tournage a débuté, c'était génial, l'alchimie a fait son œuvre. C'était très fusionnel et très chaud. Après coup, le producteur était rayonnant et il disait qu'il avait capturé un éclair.
L'autre, c'était avec Nina Hartley. En fait, ce n'était pas devant la caméra. Mais avant que le tournage ne débute. Tu dois savoir que parfois, la technique prend le pas sur la création. Sur le plateau de The seduction of Nina Hartley, il y avait Nina et quatre femmes (dont moi.) Nina nous avait sélectionné une par une. Soit on se connaissait entre nous, soit on la connaissait, soit on avait envie de se rencontrer ou de la rencontrer, elle. Soit cinq femmes qui aimaient les femmes et savaient [bien] coucher avec des femmes. La production (que des mecs) essayait de trouver comment agencer et tourner les scènes et cela entravait le processus créatif. Nina s'est levée et leur a dit : "Vous n'êtes pas avec des jeunettes, on se connait toutes, on a toutes couché ensemble et on connait notre rôle. Alors ce qu'on va faire, c'est que vous allumez les projecteurs, le son et les caméras et vous dégagez le plancher ensuite. On vous en filera pour votre argent et on se fera plaisir au passage." Elle avait raison, car cette scène fut jugée comme étant l'un des meilleurs gang bang lesbien à l'écran.
Voudrais-tu refaire du porno ?
Côté porno, je suis encore novice. Je VOUDRAIS tourner d'autres scènes. J'adore être devant une caméra et j'adore ce qu'il en sort. Il y a une liste INTERMINABLE de partenaires et de réalisateurs pour qui j'aimerais bosser.
Et qu'est-ce que tu refuses catégoriquement ?Il n'y a pas grand chose que je refuse de faire. Mais mon NON CATEGORIQUE, c'est le viol-simulé ou le viol. Je crois fermement que NON C'EST NON. Un des trucs que je déteste, dans notre société actuelle, c'est l'idée que si le consentement est donné, on ne peut pas revenir dessus et ça autorise des choses horribles. Je refuse de promouvoir cela.
Qu'est-ce que je peux te souhaiter pour 2018 ?
L'avenir... Waouh... Ben mon avenir c'est de continuer et de chercher des moyens de faire savoir au public où je suis et comment me contacter. Contrairement à beaucoup d'actrices et à pas mal de collègues prostituées, je suis facile à joindre. Mon souhait pour cette année est de pouvoir acheter une voiture et de déménager dans un endroit plus grand. Souhaitez-moi bonne chance !
Enfin, peux-tu dire quelques mots à l'intention de tes fans, en France ?
Trouvez votre bonheur...le faire ethiquement, faites-le-legalement, mais trouvez votre bonheur. (NDLA : en français dans le texte !)
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